Deux rendez-vous manqués
Le 7 juin 1967, les forces israéliennes ont annoncé que pour d’ « impérieuses raisons de sécurité et de maintien de l’ordre public », elles occupaient et avaient pris le contrôle de la Cisjordanie et de la bande de Gaza [1] . Depuis lors, le peuple palestinien vit sous occupation, ce qui revient à dire que l’Etat d’Israël, en tant que puissance occupante, se trouve dans l’obligation d’appliquer la IVe Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.
L’ensemble des autres Etats ont reconnu que la IVe Convention de Genève était, de jure, applicable à la situation des territoires palestiniens occupés. L’Etat d’Israël a signé, le 6 janvier 1952, la IVe Convention de Genève mais n’est pas partie aux protocoles additionnels de 1977.
Ainsi, il refuse de s’y référer au prétexte que les conditions d’application ne sont pas remplies dans les territoires palestiniens occupés.
En juillet 1999, l’Assemblée générale des Nations unies a organisé une réunion des Hautes Parties contractantes [2] qui a pris fin au bout de quinze minutes, « pour laisser une chance à la paix. » En décembre 2001, le gouvernement helvétique a provoqué une nouvelle rencontre des Hautes Parties contractantes afin de trouver des moyens pour que l’Etat israélien respecte son obligation à l’égard de la IVe Convention. Cent vingt-deux participants se sont rencontrés, dont cent quatorze Etats Parties et huit avec un statut de participants ou d’observateurs. Sur les cent quatre-vingt neuf Etats Parties, seuls trois ont refusé de prendre part à cette conférence, entre autres, les Etats-Unis et l’Etat israélien.
Au bout de quelques jours, la réunion fut ajournée mais une déclaration [3] avait été adoptée, qui rappelait les obligations générales de tous les Etats Parties, mais aussi les obligations respectives des parties au conflit et les obligations spécifiques de la puissance occupante qui se doit de protéger les civils, jusqu’à la fin des hostilités et de l’occupation. Cette Conférence aurait dû assurer la mise en oeuvre, par tous les acteurs concernés, des règles rappelées dans la déclaration. Cela n’a jamais été le cas.
La situation pour les populations civiles des territoires palestiniens occupés n’a fait qu’empirer.
Un moment important : l’Avis consultatif de la CIJ
Le dernier acte commis par l’Etat israélien a été la décision unilatérale de construction du Mur.
Devant ce fait accompli et au regard des nombreuses violations commises tant sur le plan du droit humanitaire que du droit international, le 8 décembre 2003, l’Assemblée générale des Nations unies votait une résolution demandant à la Cour internationale de Justice de La Haye de donner son avis sur la légalité de cette construction.
Cet avis consultatif, rendu en juillet 2004, recense les instruments internationaux violés par l’Etat israélien, en particulier, le Règlement de La Haye de 1907 [4] , les deux Pactes internationaux de 1966 (droits civils et politiques, droits économiques, sociaux et culturels, et en particulier le droit à l’autodétermination [5]) ; ainsi que la Convention internationale relative aux droits de l’enfant de 1989.
De plus, il confirme que l’Etat d’Israël viole la IVe Convention de Genève.
Selon la Cour internationale de Justice, le droit international a consacré certaines règles générales de base qui s’adressent à tous les Etats et sujets de droit international. Il s’agit, entre autres, pour les Hautes Parties contractantes de « s’engager à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances » [6]., parce que les normes dont il est question dans cette Convention sont essentielles pour la société internationale.
Les fondements des obligations des Hautes parties contractantes
Ce fut en 1970, dans un arrêt célèbre [7] , que la Cour internationale de Justice avait précisé qu’ « une distinction essentielle doit être établie entre les obligations des Etats envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent vis-à-vis d’un autre Etat (...). Par leur nature même, les premières concernent tous les Etats. Vu l’importance des droits en cause, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés ; les obligations dont il s’agit sont des obligations erga omnes. » [8] La Cour affirme qu’en droit international les obligations erga omnes découlent « de la mise hors la loi des actes d’agression et du génocide mais aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, y compris la protection contre la discrimination raciale. Certains droits de protection correspondants se sont intégrés au droit international général, d’autres sont conférés par des instruments internationaux à caractère universel ou quasi universel. » [9]
Selon ce qui se dégage de cet arrêt, il existe en droit international des normes de base de nature objective qui s’imposent à la volonté des Etats et des sujets de droit international [10] , même si ceux-ci voulaient se placer au- dessus de ces normes [11] . Il faut rappeler que l’existence des normes erga omnes a été réaffirmée avec force par la Cour dans son Arrêt concernant le Timor oriental où il a été considéré que le droit des peuples à l’autodétermination [12] appartient à la catégorie des normes erga omnes [13] .
Conséquences juridiques pour les Etats
Etant donné l’importance de ces normes et l’enjeu des droits qui en découlent, cette obligation de respecter et de faire respecter le droit international s’applique entièrement à la situation d’occupation du territoire palestinien. Cela implique que tous les Etats et tous les autres sujets de droit international ont d’une part, un intérêt juridique légitime et d’autre part, une obligation internationale juridiquement fondée, ce qui signifie que tout manquement à cette obligation - que ce soit par la voie d’une action ou d’une omission- entraînerait inévitablement leur responsabilité internationale.
Pour revenir à la IVe Convention de Genève, il est évident que ses dispositions relèvent également des normes erga omnes , ce qui entraîne des conséquences pour les tiers au conflit mais aussi pour les Parties contractantes à la Convention et aux autres instruments internationaux des droits humains. Comme il ressort des paragraphes 155 à 158 de l’Avis consultatif, la violation d’une obligation erga omnes par un Etat entraîne, de facto, une obligation pour des Etats tiers.
Les travaux de la Commission du Droit international de l’ONU [14]. confirment ces propos. En effet, l’article 41 des articles sur la responsabilité de l’Etat précise, d’une part, que « les Etats doivent coopérer pour mettre fin, par des moyens licites, à toute violation grave au sens de l’article 40 » [15] . Rappelons que 144 Etats ont condamné sans équivoque l’édification du mur et l’ont déclarée illégale [16]. et d’autre part, qu’ « aucun Etat ne doit reconnaître comme licite une situation créée par une violation grave au sens du paragraphe 2 de l’article 40, ni prêter aide ou assistance au maintien de cette situation. » Dès lors, la CIJ rappelle que « tous les Etats ont l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du Mur dans le territoire palestinien ». [17]
Pour enlever tout doute, la CIJ rappelle également que la construction du Mur doit être replacée dans un contexte plus général [18] car les violations du droit international ne se limitent pas à la IVe
Convention de Genève, mais englobent le Règlement de La Haye de 1907, les deux pactes internationaux de 1966 et la Convention internationale relative aux droits de l’enfant ainsi que tous les instruments de protection des droits humains, dont le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. N’oublions pas que la construction du Mur se place dans un contexte général d’occupation, donc dans une situation de violations massives des droits humains ; dès lors ces conventions des droits humains sont interpellées et applicables.
La CIJ, par une majorité écrasante ( 13 pour, 2 contre) affirme que « (....) tous les Etats sont dans l’obligation (...) de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction(...). Tous les Etats parties à la IVe convention de Genève (...) ont en outre l’obligation dans le respect de la Charte des Nations unies et du droit international, de faire respecter par Israël le droit international humanitaire (...) ». [19]
Pour se mettre en conformité avec leurs obligations internationales, les Etats disposent d’une large panoplie de mesures conformes au droit international [20] pour mettre fin aux violations graves et menées à grande échelle par l’Etat d’Israël.
Par rapport à la IVe Convention de Genève, c’est-à-dire à l’obligation qui incombe aux Etats parties de faire respecter par Israël le droit international humanitaire incorporé dans cette Convention [21], la CIJ prend comme base juridique l’interprétation de la disposition de l’article I de la Convention selon laquelle, « les Hautes Parties contractantes s’engagent à respecter et à faire respecter la présente convention en toutes circonstances ». Les Hautes Parties contractantes sont, dès lors, dans l’obligation de respecter leur devoir d’abstention, mais ont aussi l’obligation d’agir.
Devant des violations si graves, permanentes et étendues dans le temps, les traditionnelles recherches sur le plan diplomatique n’ont- elles pas montré leurs limites ? Pourtant les Etats disposent de moyens licites et conformes à la Charte de l’ONU pour mettre fin à des telles violations. Devant l’immobilisme des Hautes parties contractantes, les citoyens des Etats parties ne seraient ils pas en droit de demander des comptes à leur propre Etat ?